Mon herbier de voyageurs – premier chapitre

Quand je ne suis pas en train de vivre ma folle vie de blogueuse voyage / ramper sur Netflix / manger du haggis (rayer les mentions inutiles), je travaille dans une auberge de jeunesse à Edimbourg. Je ne pensais pas faire ça un jour, mais j’ai cédé à la tentation d’une expérience vraiment différente, dans une auberge presque irréelle tellement elle est géniale. Petite boîte familiale, ambiance chaleureuse et magique, équipe parfaite, décoration pointue et bien réalisée. Il y a quelque chose qui relève du destin entre cette auberge et moi. Et forcément, on y croise des personnages. Je pense que c’est ce qui m’intéresse le plus : entrer en contact avec des voisins venus de la planète entière, revivre mille fois ce moment où tu te dis timidement bonjour, et quelques heures plus tard, tu as l’impression d’avoir un nouvel ami. Mais malheureusement, ces amis s’en vont. Certains envoient des emails, des cartes… La vie d’une auberge, c’est plein de tendresse, d’honnêteté (on se confie quand on sait qu’on ne reviendra pas) et de découvertes. Alors j’ai eu envie de dresser des petits portraits de ces personnages de films à qui je cuis des oeufs brouillés tous les matins. Je change naturellement les prénoms.

Mahmoud – Si vous le croisez dans la rue, jamais vous n’imagineriez que Mahmoud aime venir dans ma petite auberge de jeunesse. Saoudien, cinquantenaire, père de 5 enfants, il a le budget pour n’importe quel hôtel. Mais… Il sent une bonne énergie dans cet ancien gentlemen’s club réaménagé en auberge cosy. Il aime prendre soin de ses voisins, aussi. Il les écoute. Il voit des choses en eux. Le matin, il s’assoit patiemment dans le salon et observe tout ce petit monde. Il est relax, en djellabah, il sourit. Quand vient l’heure pour lui de sortir, il revêt un costume simple et une petite écharpe. Et pourtant, c’est le mois d’août…

Un matin, Mahmoud se déplace avec difficulté. Je fronce les sourcils et lui demande si tout va bien, si par hasard il veut s’asseoir. Il sourit – ou du moins il essaye, c’est une belle grimace en réalité. Il m’explique que de temps en temps, il remplit ses chaussettes de… cailloux.

« Parce que l’homme occidental a oublié qu’il faut marcher pieds nus, dans l’herbe, sur les cailloux. Ca libère l’énergie. Alors j’ai trouvé une astuce : j’ai récupéré ces cailloux dans un pot de fleurs, et je les mets dans mes chaussettes de temps en temps… »


Ly – Ly est toute petite. Toute sage. Toute souriante. Un matin, j’entre dans sa chambre alors qu’elle est en train de lire, mais elle m’invite à rester, je ne la dérange pas. Rien ne dérange jamais Ly. Son voisin ronfle mais elle s’en fout, elle n’entend pas. On commence à papoter et elle m’apprend qu’elle est originaire de Corée du Sud. En répondant, naturellement, je fais un lapsus et j’évoque la Corée du Nord. Je me répands en excuses mais elle m’arrête net : elle s’intéresse beaucoup à la Corée du Nord, et en apprenant que je m’y suis rendue une semaine, elle hulule en se tenant la tête. La discussion devient vite passionnée et se poursuivra plusieurs jours. On évoque des bouquins, que nous avons lus toutes les deux, des documentaires, des impressions.

Le 11 novembre, Ly me tend ce qui ressemble en tous points à une boîte de Mikado (version coréenne), ces baguettes biscuitées recouvertes de chocolat.

« Tiens, c’est pour 11.11 ! En Corée, on en offre à tous ses amis. Parce que tu peux prendre quatre baguettes et faire… 1111 ! »

Je trouve ça génial et flippant qu’une marque ait réussi à créer une sorte de tradition. Je suis ravie et je lui explique pourquoi : pour nous, Européens, le 11 novembre est un jour plutôt triste. On célèbre la fin de la guerre, soit, mais on s’en souvient, on commémore. On ne pense pas vraiment à s’échanger des Mikado parce que c’est trop marrant, 1-1-1-1. Mais je suis contente qu’à l’autre bout de la planète, on ait une habitude totalement différente pour un même jour.

Quand Ly a quitté l’auberge pour un appartement à Edimbourg, nous avons continué à nous voir, aller boire des cafés, se raconter des blagues sur nos pays respectifs. Et le 11 novembre prochain, j’espère lui apporter, moi aussi, une boite de Mikados.


Robin – Il est silencieux, concentré, discrets, les premiers jours. Mais Robin a le temps. Il reste plusieurs semaines. Il s’installe peu à peu, s’ouvre en même temps. Pour Robin, ce qui compte, c’est la bouffe. Chaque jour, il court les supermarchés à la recherche des meilleurs produits. Puis il rentre, prend le contrôle de la cuisine, se fait un petit osso bucco pour lui tout seul. Le matin, c’est parfois poêlée de petits légumes et saumon frais. Les autres hôtes louchent vers son assiette, hument ce qu’ils peuvent. « Bah quoi, c’est facile de bien manger », arguera Robin. « Facile si tu as trois heures par jour à y consacrer », lui répond un voisin. Mais Robin a le temps. Après le repas, c’est l’heure du sport. Et après la musculation… Il « travaille ». Il ouvre son ordinateur, chausse son casque, et prend un air très sérieux. En trois semaines, deux séjours, je n’ai pas tout à fait compris. Robin travaille dans la sphère des paris sportifs. Travailler deux heures, les jours de match, c’est suffisant pour lui. Ainsi, il voyage tout le temps. Loue des appartements ici ou là. S’offre des petites escapades. Et dorénavant, notre auberge fait partie de ses « maisons ».

Voilà pour le début de l’herbier. J’ai déjà en tête mes prochains portraits. J’ai juste envie d’y aller doucement…

 

Sous son air de blog voyage, cet espace me permet d’expérimenter une forme d’écriture un peu différente de ce que j’ai l’habitude de faire. Ici, juste du ressenti, des émotions, des moments. Si vous voulez me faire un bisou, vous pouvez écrire à rita@ritasenva.fr.

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