Voilà un an, j’ouvrais cette page pour trouver la continuité d’un projet achevé, Longs Courriers. C’est drôle parce que c’est aujourd’hui, où je me trouve enfin dans l’esprit pour reprendre l’écriture ici, que je me souviens qu’il y a trois ans, jour pour jour, que je suis revenue en France après une belle année de promenade autour du monde.
Trois ans et puis ? Et puis rien, pas grand chose, ou juste le quotidien, l’apprentissage d’une vie de freelance, puis un déménagement surprise en Ecosse, d’où j’écris aujourd’hui. La naissance du projet French Kilt, bientôt suivi par Europe Hop Hop, avec la tonitruante Audrey. Il y a quelques jours, lors d’une petite conférence sur Youtube sur le thème du voyage menée par des étudiants en info-com à Strasbourg, j’ai réalisé que ce voyage m’a surtout permis de m’identifier comme Européenne avant toute chose. C’était sans doute latent mais je n’y avais jamais vraiment réfléchi.
Se confronter aux frontières
Ayant grandi en Alsace, j’ai franchi la frontière symbolique entre l’Allemagne et la France un paquet de fois sans vraiment m’en rendre compte ou ni même y réfléchir. Une frontière, pour moi, n’avait rien de solide ou de linéaire. Chanceuse sans vraiment le savoir. Et si frontière il y avait, elle n’était jamais bien difficile à franchir. Un petit papier à remplir sur le bateau qui nous emmène à Tanger, un officier bedonnant en uniforme vert forêt à l’aéroport de Casablanca. J’ai essayé, aujourd’hui, de retrouver le moment où j’ai compris qu’une frontière peut aussi être un mur infranchissable si tant est que l’on n’a pas la bonne couleur de passeport. Il y a eu ce jour, quand le bateau de Tanger a débarqué à Algeciras, au sud de l’Espagne, et que nous attendions patiemment la voiture, assis sur un petit muret. Des hommes en uniforme ont sorti de la soute un jeune homme qui semblait désemparé. L’Europe, pour lui, s’arrêtera au ponton du port espagnol. Je ne sais pas ce qu’il lui est arrivé par la suite. Mais moi, j’étais sur ce muret, peinarde, quand lui ne franchira pas la ligne d’arrivée. Stupeur.
Ma seconde panique de frontière, c’était il y a presque quatre ans, un soir de février, entre la Russie et la Mongolie. Le train s’arrête dans la neige et je sens une certaine nervosité monter. Des douaniers armés entrent dans le wagon et… ramassent les passeports. Certains ont des chiens. Oui : ils ramassent les passeports. Tous les passeports. Et s’en vont. Pour moi, naïve, c’est la panique : on ne me prend pas mon passeport sans bonjour ni merci, nan mais oh ! Je sors du wagon et je réalise qu’on est vraiment au milieu de nulle part : juste une grande étendue vide avec au loin, des baraquements. Je n’ai pas confiance en ces hommes, les voir partir avec mon passeport me révolte. Ouragan dans un verre d’eau : après une heure ou deux, ils reviennent et nous rendent négligemment nos passeports. Nous ne sommes que des touristes européens, pas très intéressant. Je me rends compte que ceux qui passent vraiment un mauvais moment sont les Chinois, les Mongols, chargés de cartons et sacs en toile. Ils se font fouiller, questionner. Moi et mon auréole européenne, on ne risque rien. C’est d’un lisse.
Voisins mais pas que
L’autre truc que j’ai appris sur mon rapport à l’Europe, c’est que… Tu sais cette sensation quand tu rencontres quelqu’un de ton pays à l’autre bout du monde ? Je la ressentais aussi en rencontrant des Italiens, des Espagnols, des Allemands. Et c’était bien. C’est con à dire mais c’est quand même un sacré succès de l’Europe, l’Europe culturelle, l’Europe des gens : on sait qu’on vient du même pré. On fait équipe.
Aujourd’hui, je passe une grande partie de mon temps dans une auberge de jeunesse où je papote au quotidien avec des Espagnols, des Bulgares, des Italiens, des Grecs, des Allemands… Ca fait un peu cliché « Auberge Espagnole », mais en fait, c’est tout simplement mon quotidien à présent. Et en discutant plus largement avec des gens venus d’autres pays – Taïwan, Equateur, et même Iran récemment – on ne cesse de se sentir reconnaissant d’avoir le droit d’être là, à un bout de l’Europe bien que l’on soit né dans un autre, sans rien demander à personne. En fait, c’est plus que ça : nous sommes reconnaissants que ce soit la norme. Espérons que cela dure.