Voici le dernier volet de ma petite escapade irrationnelle aux Etats-Unis. Derrière moi, le Colorado, le Wyoming, l’Idaho. Nous entrons calmement, toujours sous un doux soleil jaune d’automne, en Oregon. Juste pour un instant, le temps de rejoindre le sud de l’Etat du Washington, plus au nord. On s’arrête dans la ville au nom le plus drôle du monde, Walla Walla. Programme de la journée : dégustation de vins. On en produit beaucoup dans l’Etat du Washington qui, paraît-il, est aux mêmes latitudes que le Bordelais. Soudain, mon statut de Française prend un peu de poids. Trop de poids. Dans chaque vignoble où nous nous arrêtons, on me regarde après chaque gorgée. J’ai beau dire que je n’y connais rien en pinard, l’assemblée est tout de même rassurée quand je hoche la tête. Naturellement, comme partout, on boit de très bonnes choses dans l’Etat du Washington, et aussi des moins bonnes. Voilà. Je m’arrête là pour l’analyse oenologique.
A moi le pacifique
Après avoir ma dose de nourriture frite et de vin, c’est l’heure de reprendre la route vers l’ouest. Vers la côte. On boude fièrement Portland (je le regrette un peu mais mon camarade insiste, il vaut mieux rejoindre la côte rapidement). On s’enfonce dans des forêts de sapins aux cimes vertigineuses. C’est beau, vraiment beau, la brume approche mais l’on ne s’en soucie pas. Je commence à sentir la fin du voyage arriver : je ressens le besoin d’absorber, tout, sans faire de différence. Mon chauffeur se réjouit de me montrer la plage de Cannon Beach, très connue parce qu’elle est le panorama phare du film The Goonies. Misère, je n’ai jamais vu ce film (erreur rectifiée depuis, grâce aux bons soins de mon chauffeur).
« Tu sais, c’est la plage du film… Les Goonies… Avec le bateau. »
« Ah. »
La plage de Cannon Beach, on me l’a fait miroiter comme l’un des plus beaux endroits d’où voir un coucher de soleil. Pas de bol, la brume a pris tout l’espace. Mais qu’importe, qu’importe les Goonies, qu’importe la brume, la magie opère. Il ne fait pas froid. J’observe les coquillages, les énormes étoiles de mer, les gamins. Je vois un mec qui porte un kilt. L’Ecosse me suit définitivement un peu : le lendemain, d’ailleurs, on marque une pause à Aberdeen…
Le lendemain, une magnifique route m’attend. Nous partons de Cannon Beach – au matin, on va se balader sur une autre façade de cette même plage rocheuse, pour tout vous dire je doute que ce côté porte aussi le nom de Cannon Beach. Erreur de débutante, de touriste qui se laisse porter. J’ai le coeur lourd : je dois décoller, le soir-même, de Seattle.
La route nous mène jusqu’à Olympia puis Astoria, on passe cet énorme pont que l’on aperçoit aussi, je crois, dans The Goonies. Face à ce ciel bleu et à cette côte magnifique, je me sens comme un petit chien fou. C’est mon dernier jour de roadtrip. Forcément, l’agitation me gagne… Et pourtant, j’arrive à jouer le jeu, c’est un jour comme un autre, je ne pense pas aux adieux qui se profilent. La côte est sauvage et magnifique, on s’arrête à chaque virage pour profiter du panorama. Soudain j’ai envie de cesser de vivre en ville, de me cacher dans un coin comme celui-là, loin de tout, dans un air gorgé d’iode.
C’est assez nouveau, pour moi, de ressentir un besoin de vie au vert. Autant j’adore me balader dans la nature, autant la ville m’est chère. Et là, soudain, je me vois en Caroline Ingalls des temps modernes, à chérir le silence, fuir la foule, ignorer le béton. Mais au fil des kilomètres, on sent la rumeur de la ville approcher. Il me reste quelques heures pour arpenter le centre-ville de Seattle, et comme on est des gens chanceux, on trouve une place de parking gratuite. J’ai envie de rester un peu. J’ai envie de voir si c’est vrai, ces histoires de ville pluvieuse, j’ai envie de me perdre, trouver un bon restaurant, gratter le bitume. Mais je dois me résoudre à palper ma poche – mon passeport est encore là – et à me laisser embarquer vers l’aéroport. Le temps d’une dernière bière. Dans la file d’attente pour passer la sécurité, un gros sanglot me prend. Je laisse quelque chose en Oregon, je laisse quelque chose au sommet des sapins. Je n’essaye pas de contrôler mes larmes, à tel point que les douaniers me regardent avec méfiance et prennent le temps d’ouvrir mon sac. Non, je ne vais pas me faire exploser dans l’aéroport, c’est promis, je prendrai sagement ce vol direct pour Londres. Une grand-mère me tend un mouchoir et me dit des gentilles choses. Me voilà en train de quitter les Etats-Unis, alors que je n’avais pas vraiment réalisé que j’y étais. Voilà la source du bouleversement.
LES GOONIES <3
On dirait des pousse-pieds tes coquillages !