Wyoming

Elans, étoiles et barbelés dans le Wyoming

Je ne l’avais pas prévu. Le hasard m’a filé un coup de coude et m’a déposée dans l’Ouest américain, avec, avec moi, une minuscule valise jaune et une paire de baskets. Je reprends le récit là où je l’avais laissé : la nuit tombée, la tiédeur à l’aéroport de Denver. Je n’irai pas en ville. Je tourne en rond dans le hall, complètement déboussolée, presque persuadée d’avoir passé douze heures à vivre les mêmes soixante minutes, encore et encore. Je ne sais plus depuis combien de temps je voyage mais la journée n’est toujours pas finie. Loin de là. Enfin, j’accroche sur un visage familier, qui me sourit et me tend une main. Que je prends. Enfin.

La journée n’est pas terminée : il nous faut rouler plusieurs heures dans l’obscurité. Rideau qui me permet alors de ne pas réaliser tout de suite que je suis à présent dans l’immensité vide du Wyoming, un état dont – je le confesse – l’existence m’était encore inconnue au début de l’année. Il me faudra attendre le matin pour admirer les petites maisons de bois, les champs déjà débarrassés de leurs céréales, les supérettes cocasses. L’espace entre les bâtiments. Nous voilà devant le seul immeuble disposant d’un escalator dans tout l’état. C’est une distinction comme une autre.  A quelques jours d’Halloween, les citrouilles se fondent parfaitement dans le décor. C’est presque un cliché. Les grosses bagnoles aux slogans politiques douteux, les chapeaux à longs bords, les barbelés. Et moi qui me cogne à une autre logique.
– Et si on s’arrêtait rapidement pour monter sur cette colline et prendre une photo ?
– C’est une propriété privée, on pourrait te tirer dessus. Juste comme ça.

Ca te coupe l’envie.

OLYMPUS DIGITAL CAMERAJe m’émerveille de la vitesse à laquelle changent les paysages. C’est drôle de confronter mes impression à des gens qui ont vécu trente ans dans le coin. Tout est si fade pour eux, si lumineux pour moi. Je me lance dans une collection des plaques d’immatriculation. Ahah, l’Idaho, les patates ! J’aperçois des antilopes, ou une espèce ressemblante, sans en croire mes yeux. Nuisibles, pour les habitants du coin. Je repense à mon précédent passage aux Etats-Unis, en novembre 2013. Très urbain, forcément, comme souvent quand on ne connaît pas trop et qu’on ne fait que passer. Là, il n’y a que nous, la radio et le vide. Le moteur qui pompe tant d’essence. Je m’affole. A voir cette vidéo, je me dis que c’est exactement comme ça que j’ai vu le Wyoming. A travers ma fenêtre.

Wyoming Wildscapes from Nicolaus Wegner on Vimeo.

La traversée du Grand Teton National Park restera pour longtemps dans les strates de ma mémoire. Tout passe peu à peu du jaune doré au bleu sombre. Le coucher de soleil est inévitable, et pourtant, j’aimerais tant le retenir, juste un moment, juste le temps que je comprenne, que je réalise. En se dirigeant à regret vers la sortie du parc, j’aperçois un immense cerf, entouré de biches. Pas un cerf, vraiment, mais « an elk », une sorte d’élan. Immense au point que je me tétanise sur place, je ne peux littéralement pas décoller mon regard de cette force de la nature, qui prend son goûter à la lisière de la forêt. On reste à distance, hypnotisés. Je pleure d’affolement : déjà tellement immergée dans le sauvage, la nature, je ne pouvais plus aller plus loin dans l’émotion, je ne m’attendais pas à faire face à un être vivant, libre et magnifique. Naturellement, les images sont fades. Ce n’était pas le plus important alors.

Wyoming

Dire adieu au grand élan, c’est sortir du parc. C’est s’enfoncer dans la nuit. Je suis toujours complètement embrouillée (je n’ai jamais autant souffert du décalage horaire que lors de ce voyage-là), ce qui ajoute au caractère magique et étrange du périple. Je m’étonne de réagir avec tant de violence à la reprise de la route : non, je ne veux pas, je sais que l’on est attendus quelque part au fin fond de l’Idaho voisin, mais non, putain, laissez-moi là, j’attendrai demain, je retournerai marcher dans les bois en espérant me faire adopter par une famille d’élans. Le froid me prend soudain. Je suis debout dans cette station essence harassante, criarde, agressive et je me prends à ronchonner en ouvrant mon paquet de carottes (on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a). Je sombre dans un sommeil lourd. Et puis la voiture s’arrête : on est arrivés ? Non, nous sommes au milieu du vide, nous sommes dans l’espace si vous voulez me croire quand j’ouvre les yeux. Un vent froid s’engouffre et on me tire dehors. Pour voir les étoiles. Les pâtés d’étoiles qui tapissent le ciel si sombre. La traînée de poussières de la voie lactée. Et le pesant silence. Je suis là, dans la nuit de l’Idaho, je ne l’aurais pas deviné dix jours avant, mais je suis là, je regarde les étoiles. Les étoiles, les stations, les barbelés, les élans.

 

Sous son air de blog voyage, cet espace me permet d’expérimenter une forme d’écriture un peu différente de ce que j’ai l’habitude de faire. Ici, juste du ressenti, des émotions, des moments. Si vous voulez me faire un bisou, vous pouvez écrire à rita@ritasenva.fr.

1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *