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A l’abri à Istanbul

Alors que je ne pouvais pas décemment rester là, dans ma ville, alors que le mouvement était nécessaire, obligatoire, l’occasion de visiter Istanbul, avec un très juste équilibre de vieux amis et de gens nouveaux, tombait à pic.

Ce voyage allait être un peu spécial : pour la première fois, j’allais partir sans rien partager. Pas de réseaux sociaux, pas de coeurs, pas de flèches. Juste moi et la ville. Et eux. Et lui. Un voyage un peu secret, juste pour moi.

Istanbul, le sucre et moi.
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Atterissage.

On a chaud, dans l’avion, et on est déjà en retard, quand le pilote annonce – en turc – qu’on va devoir attendre une petite heure. On lit tout ça sur le visage de nos voisins et étrangement, l’attente ne nous pèse pas. On rigole. Pour lui, c’est de sa faute. Chat noir des transports. Le pilote nous refait la blague une seconde fois : deuxième heure moite d’attente. Le staff est content, il vend des bouteilles d’eau. C’est donc seulement à la fin de la journée que l’on survole Istanbul, déjà ma mâchoire tombe lorsque j’admire les petits bateaux qui se meuvent dans le coucher de soleil. La jeune fille à côté de moi voyage seule pour la première fois, elle a 17 ans, elle ne sais pas si elle va réussir à sortir de l’aéroport. Je la prends sous mon aile et l’emmène jusqu’à la navette de bus. Il est déjà tard et c’est grâce à un hasard binaire que l’on retrouve nos amis dans un bar, près d’une bouche de métro. Nous voilà. Nous sommes sales mais arrivés. Mon téléphone est au plus profond de ma poche et il n’existe déjà plus.

Alors Istanbul, ses quartiers, ses cafés, c’est presque décourageant d’en parler tellement la ville a été quadrillée par les blogueurs – et pour n’en citer qu’une adresse, je vous conseillerais d’aller fureter sur Istanbul Falan Filan. En quatre petits jours seulement, cette ville m’a marquée pour le sentiment d’intense liberté qu’elle m’a procurée. Parce que moi-même j’étais en fuite, parce qu’il faisait lumière, tout le temps, partout. Faire partie d’un groupe, c’est enivrant, on se sent en colonie, on se laisse aller, si tant est que l’on ait un guide aussi bon que le nôtre. L’émerveillement est facile, alors, la vanne jamais loin, les claquettes claquent au sol. Il y a une infinité de reflets, de plantes, de balcons verts, de tables dehors, de vendeurs de cochonneries à grignoter sans y penser. Je suis à des années-lumière de mes dead-lines et dire « ah oui je déménage en Ecosse cet été » sonne vraiment comme une blague. On verra ça plus tard. Pour l’instant, il n’y a que les restaurants sur les toits des immeubles, les clubs bouillants, la tiédeur de l’air.

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Jeunesse et liberté

Autre souvenir marquant. Un après-midi, on apprend qu’une gay pride va se dérouler à Istanbul. Alors qu’on s’amuse à aller d’une côte à l’autre avec les ferries, une foule de gens déguisés, hilares et chantants monte sur le bateau. La magie prend. On les rejoint quelques moments plus tard dans le centre-ville, avant de voir, sous nos yeux en colère, les forces de l’ordre s’attaquer aux manifestants. Ca va très vite, c’est mécanique, les confrontations sont rapidement maîtrisées, c’est vraiment impressionnant. Je suis très choquée. J’ai envie de pleurer. Je m’énerve avec un mec de la police (je pense) qui surveille ce qui se passe, la conversation est sans issue : je demande à comprendre, on me dit « ici c’est pas pareil que dans ton pays ma fille ». Si je pense « pour l’instant peut-être » je ne suis pas satisfaite. Même si le pouvoir n’approuve pas le défilé, il ne fait que lui donner plus d’importance en le réprimant, à mes yeux. Une heure plus tard, un article sur lemonde.fr fait état des violences lors du défilé. Gagné. « C’est le ramadan », tente de m’expliquer encore le petit homme. Hypocrisie générale.

Mais je trouve à me consoler : la gay pride, bien que écrabouillée par les casqués, se diffuse dans la ville. Et nous passons un bout de la soirée à danser dans une rue totalement prise d’assaut et bloquée par la jeunesse de Turquie et d’ailleurs qui demande juste un peu d’air. Revanche est prise.

Fête improvisée et sauvage...
Fête improvisée et sauvage…

Une table pour finir

Parce que je suis une mauvaise, très mauvaise blogueuse, je suis incapable de retrouver le nom de ce minuscule restaurant de musiciens, au coin d’une rue, qui nous a arrêtés tels des mouches autour d’un pot de miel. Mais je crois qu’on a tous ressenti la même chose. Une grande table est assemblée dehors, et nous voilà accoudés dans l’obscurité, fatigués mais heureux, vraiment heureux. Si je pouvais retourner dans cet instant et faire des câlins à tout le monde, je le ferais. Si je pouvais passer le reste de ma vie autour de cette table, pareil. Le chat du restaurant passe de bras en bras, de genoux en genoux. Je m’entends commander une « fondue turque », parce que le serveur explique que c’est la recette de sa grand-mère. Heureusement, quelques convives me suivent. Et l’éclat de rire est franc mais un peu angoissé quand on se retrouve avec une marmite de fromage recouvert de beurre fondu, à manger avec du pain. C’est très très bon. Et j’aurais dû noter le nom du plat…

Le chat profite du concert...
Le chat profite du concert…

Derrière nous, un homme s’installe. L’air malicieux, le regard intelligent, sa moustache lui donne un air d’Edwy Plenel. Il joue d’un petit instrument à archet et c’est simplement magnifique. Je me sens vraiment hypnotisée par cet homme, ce moment, cet instrument. Je suis même intimidée, je crois. Sentiment étrange. C’est une si belle soirée, presque mélancolique. Nos sept cerveaux sont relaxés, nos estomacs agréablement tièdes et on sent l’amour et la tendresse autour de nous. C’est niais, oui. Mais encore une fois, j’ai trouvé ici ce que je cherchais. Je suis repartie sereine.

Sous son air de blog voyage, cet espace me permet d’expérimenter une forme d’écriture un peu différente de ce que j’ai l’habitude de faire. Ici, juste du ressenti, des émotions, des moments. Si vous voulez me faire un bisou, vous pouvez écrire à rita@ritasenva.fr.

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